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12.01.2006

Philippe Noiret, comédien hors carte

Le comédien Philippe Noiret est mort, jeudi 23 novembre, des suites d'une longue maladie, a annoncé son agent artistique Artmedia. Le portrait ci-dessous a été publié dans Le Monde du 15 septembre 1997.

Il prévient poliment : "Je suis un homme bien ordinaire, vous savez, vous allez avoir du mal. Enfin, c'est bien d'avoir un article avant sa nécrologie dans Le Monde." Pour autant, Philippe Noiret reconnaît n'être pas particulièrement pressé de l'avoir, sa "nécro". Nous non plus. Il est là dans sa loge, un dimanche après-midi, à tirer sur son gros cigare en regardant le plafond, les rayures du tissu sur les murs, les photos de sa femme, la comédienne Monique Chaumette, de sa petite-fille, de quelques-uns de ses chevaux et amis, qu'il avait hésité à placer sur le miroir, pour ne pas avoir l'air de s'installer, par superstition, au cas où Les Côtelettes ne marcheraient pas.

Il a le sourcil en pétard, porte la barbe, qui sied à la rondeur toute balladurienne de son visage, précédé d'un long nez de jouisseur, un organe puissant, non pas un pif, qui sonne petit et mutin, mais un blaze, noble et sonore, comme sa célèbre voix de bronze. Il porte une chemise en lin, un blue-jean, des bottes plus que parfaites. Il étire son mètre quatre-vingt-cinq dans un vaillant fauteuil Louis XVI, ne paraît pas trop angoissé de remonter sur les planches, trente ans après sa dernière apparition sur scène.

Qu'est-ce qui l'a convaincu, au fait, d'opérer ce retour ? "La pièce. Elle est formidable. Le titre, c'est un titre à la Marcel Aymé, à la Jean Anouilh. A un moment, il y a une paire de côtelettes qui jouent un rôle dans le personnage de Michel Bouquet. Moi je suis Léonce, un ex-soixante-huitard qui a brassé beaucoup d'idées généreuses et à qui la vie a fait parcourir des chemins assez différents de ses idées. C'est l'heure du bilan, du constat, du divorce. C'est l'histoire d'un pauvre mec de gauche qui se retrouve en train de glisser à droite."

A 67 ans, il est un peu plus âgé qu'un soixante-huitard, certes, mais le théâtre permet aux gens de grand talent de tricher. Sa jeunesse, Philippe Noiret l'a vécue assez sagement, en cancre paisible, chez les oratoriens. Il n'a pas eu le bac. Sur quoi bloquait-il ? "Sur tout. Ça ne m'intéressait pas. J'étais rêveur, je lisais pas mal, je déconnais avec les autres cancres. L'avantage des oratoriens, c'est qu'ils s'occupaient des mauvais comme des bons. Un jour, le Père Bouyer m'a dit : 'Vous êtes nul en études, qu'est-ce que vous voulez faire ?' J'ai dit : 'Peut-être acteur.' Ce n'était pas une vocation très claire. Il a fait venir Julien Green et Marcel Jouhandeau à l'un des spectacles que montaient les élèves. Ils m'ont trouvé quelques dons..."

Le jeune homme suit à Paris les cours de Roger Blin, puis entre au Centre dramatique de l'Ouest, où il rencontre Jean-Pierre Darras. Ensuite, il joue dans une pièce de Lorca, Dona Rosita ou le Langage des fleurs, dans la première mise en scène de Claude Régy. "Il y avait plein de beau monde : Gianni Esposito, Silvia Monfort. Notre rêve était d'entrer chez Jean Vilar au TNP. Avec Delphine Seyrig, on allait camper à Avignon, dans l'île de la Barthelasse, pour voir les spectacles. C'était inoubliable. On a vu la première du Cid avec Gérard Philipe, et Lorenzaccio, et Le Prince de Hombourg... Un jour, aux Noctambules, on apprend que Vilar auditionnait. On se précipite, à trois cents à peu près, et, là, Gérard Philipe m'a choisi. Je suis rentré au TNP en 1953, mon premier rôle a été de jouer un citoyen ordinaire dans La Mort de Danton, de Büchner."

Parallèlement, il commence avec Jean-Pierre Darras une carrière au cabaret, à l'Ecluse, aux Trois Baudets, à la Villa d'Este, à l'Echelle de Jacob, où il crée un personnage de Roi-Soleil désopilant. "Et puis j'ai quitté le TNP en 1960, j'ai monté Un château en Suède, de Sagan, et j'ai commencé à faire du cinéma, Zazie dans le métro, puis des rôles de plus en plus importants. C'est un des points que j'ai en commun avec d'autres sexagénaires un peu tapés comme Jean Rochefort ou Jean-Pierre Marielle : pour nous, jouer a d'abord été jouer au théâtre, dans une troupe."

Jouer un homme de gauche fourvoyé reste un rôle de composition. S'il revendique une "sensibilité de gauche", Philippe Noiret reconnaît qu'il aurait beaucoup aimé être un aristocrate : "J'ai connu, je connais, de bons amis issus de très vieilles familles. C'est quelque chose que je leur ai toujours envié, cette connaissance d'où ils viennent, ce sens de leur lignée, ça me touche beaucoup. J'ai le cœur à gauche, mais je n'ai jamais milité. La politique n'a pas été une de mes préoccupations. Je ne m'y suis intéressé que tard, à la fin des années 60. Mai 68, c'était rigolo, imprévu. Je suis allé à quelques réunions, mais je n'ai pas pris ça vraiment à cœur, ni au sérieux. Il y avait un côté sectaire. Je n'ai jamais encaissé la façon dont on a traité Jean Vilar à Avignon cette année-là. On l'a conspué : 'Vilar-Salazar !' Il s'est fait quasiment molester, on lui a craché dessus. A cause de gens comme Julian Beck et son Living Theater..."

Quant à l'humanitaire, ce n'est pas dans son tempérament non plus. Il ne se voit pas aller coucher avec les sans-papiers. Tout en reconnaissant bien du mérite à ceux de ses confrères qui le font parce qu'en général c'est mal interprété, on les soupçonne de vouloir se faire de la publicité. Mais ce n'est pas pour lui. "Cela correspond à une faculté d'indignation que je n'ai plus, disons le mot." L'homme est pourtant connu pour avoir eu de saintes colères. Les dernières en date concernaient le Paris-Dakar. Il y a bien sûr des outrages de fond, qui durent, que l'on garde, des classiques comme la bêtise de la télévision ou celle des critiques : "La critique, je ne la trouve pas très bonne. Mais c'est peut-être le fait de mon âge. On approche du comportement vieux con très rapidement, sans le sentir. L'autre jour, je me suis surpris en train d'accabler de jeunes comédiens sous des tonnes d'anecdotes. Je me suis dit : 'Ouh là, stop !'". Donc pas de colère pour aujourd'hui.

En revanche, il est intarissable sur "la carte". La carte est une notion inventée par son ami Jean-Pierre Marielle, qui, observant un jour le milieu parisien, en déduisit ceci, que Noiret reprend à son compte : "Il y a un petit comité, un jury clandestin, une coupole mafieuse composée de gens influents des médias, du Monde, de Télérama, de Libération et deux ou trois outsiders, qui distribuent des cartes, dorées ou pas, assurant aux porteurs que quoi qu'ils fassent, pour leur plus petit pet, il y aurait de l'écho. Le coup de projecteur sera là. BHL a la carte. Il fait même partie de la coupole. Ah, son film a été assassiné... Peut-être qu'il ne l'a plus. Godard a la carte et Luchini aussi. Elle n'est pas synonyme de talent ou d'absence de talent. Il n'y a pas de référence autre que la décision de cette coupole. Moi, je n'ai pas la carte. Pas assez pensant, pas assez partie prenante. Mon comportement professionnel est trop erratique. Je n'ai pas d'étiquette. Tavernier n'a pas la carte. Dès qu'il fait un truc, "Libé" lui tombe dessus. Bertrand Blier a eu la carte du temps de Buffet froid, et depuis il l'a perdue. On peut hériter de la carte d'un autre. Par exemple, Jeanne Moreau a hérité de la carte de Simone Signoret. Elle est la tête pensante du métier, elle est la mémoire, elle a la distinction, le côté international. Dès qu'on a joué une fois à savoir qui a la carte, on ne s'arrête plus."

Philippe Noiret n'est pas assailli par les paparazzi, sauf parfois en Italie, où le public l'aime beaucoup et où il incarne une image du séducteur français, mûr et distingué. "C'est un pays que j'adore, un peuple formidable. Leur façon de ne pas réagir pendant les années de plomb, de traiter le terrorisme par le mépris, ça rejoignait le comportement des Anglais pendant la guerre, qui continuaient à sortir pendant les bombardements. C'est un public très affectueux et respectueux, au bon sens du mot." Le respect qu'on doit à quelqu'un qui nous accompagne depuis longtemps, et par plus de cent dix films.

Quand il était jeune, Noiret admirait Cary Grant, Robert Mitchum, Gary Cooper. En 1959, il tourne son premier film avec Agnès Varda, La Pointe courte. Il se voit pour la première fois à l'écran : un ours de dos, les pattes écartées. Il se dit "plus jamais !", mais, dès l'année suivante, il est dans Zazie dans le métro, de Louis Malle, Ravissante, de Robert Lamoureux, Le Capitaine Fracasse, d'André Hunebelle. Il apprend peu à peu à apprivoiser son gabarit majestueux. En voyant tourner Jean Gabin, il comprend comment ce dernier utilise sa corpulence pour exister, imposer sa "présence". "Il faut du temps pour accepter ce que l'on est. Ce n'est pas évident. On est là pour incarner un personnage, mais tant qu'on ne s'est pas accepté soi-même, on essaie de l'incarner sans utiliser tous ses moyens ou en cachant des choses de soi-même, alors qu'il faut être absolument nu et se dire : 'Je suis comme ça.' Je ne suis pas sûr d'y être parvenu, mais ça vient..."

L'âge apporte aussi des satisfactions. Le grand bonheur d'un parcours comme le sien, dit- il, c'est aussi d'avoir eu le temps de rencontrer des gens comme Mastroianni, le plus grand comédien de son temps, celui qui avait la grâce. Avec le temps aussi, il a perdu le goût du spectacle, il va moins au cinéma et au théâtre. Il peut rester des heures en revanche à regarder les images de la vie. Il continue à incarner celui en qui les Français l'ont reconnu, moins le Régent débauché et somptueux du Que la fête commence, de Bertrand Tavernier, qu'Alexandre le Bienheureux, d'Yves Robert. Un hédoniste paresseux, un sage assez habile pour protéger son domaine réservé, qu'il soit à Paris ou dans l'Aude.

On le croit bon vivant, il laisse dire, mais ne boit plus que de l'eau depuis des années. "Une décision de la Faculté. La famille était catastrophée : 'Il va devenir chiant.' Et puis non, pas plus qu'avant. On ne fait plus la fête, évidemment, mais il y a de bons côtés, on gagne en légèreté." Et il lui reste les joies du cigare, ses légendaires barreaux de chaise, des Punch et non, comme les gens riches, des Cohibas. "Je ne suis pas particulièrement chien pour les dépenses, mais pas les Cohibas, ils sont scandaleusement chers !"

Côté dépenses, il faut bien aborder le chapitre des chaussures, une page douloureuse du livre de comptes qui aurait pu mettre en péril un ménage moins équilibré que le sien. Noiret voue un culte aux chaussures, il peut en parler des heures, il en a des dizaines toutes faites à la main, sur mesure, chez Lobb : "Ce n'est pas le meilleur marché, mais je suis un grand maniaque. Quand j'ai commencé la collection, j'ai demandé la permission à ma femme, parce que c'est une folie. Mon père avait un bureau rue du Faubourg-Saint-Honoré et je passais devant chez Lobb. C'est là que j'ai attrapé le virus. Mon père était très élégant, un homme magnifique. J'aime l'artisanat, le travail fait par la main d'un homme plutôt que par une machine. Ces bottes sont un modèle qui porte mon nom désormais. C'est quand même une belle réussite dans la vie, ça vaut bien des Césars. Et M. Meilhan, rosiériste, a donné mon nom à une rose. Deux joies."

L'élégance est aussi une armure, une façon de se protéger. Noiret laisse courir les clichés autour de lui comme autant de capes sur lesquelles fonce le taureau médiatique. Noiret le bourru, Noiret le dandy à la voix d'or, Noiret l'homme de cheval, Noiret le débonnaire, etc. Ce sont des images qui ont un fond de vrai, qu'il a créées et qui continuent de leurs propres ailes. La plus tenace est celle du gentleman-farmer. Son ami Jean Rochefort a fait remarquer un jour que, lorsqu'on voit entrer Noiret, on imagine qu'il a des centaines d'hectares derrière lui. On ne prête qu'aux riches.

Noiret a une grande maison et un pré pour quelques chevaux, quelques chiens. Il n'exploite pas, ne cultive rien. "Farmer, sûrement pas. Quant à gentleman, ce n'est pas à un gentleman de le dire, je vous laisse juge." La réponse ne fait aucun doute. L'homme est un fidèle lecteur de la collection "Le Temps retrouvé", au Mercure de France, ce qui est chic, et un grand amateur de polars. La Série Noire, Rivages Noir, c'est sa littérature sur un tournage. "Une de mes dernières fiertés est d'être l'acteur favori de James Ellroy, l'auteur d'American Tabloid."

Michel Braudeau LEMONDE.FR | 23.11.06 |

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Huit distributeurs face à la concentration

Les distributeurs cinématographiques indépendants (qui défendent les films de Pedro Almodovar, Kenneth Branagh, Youssef Chahine, Arnaud Desplechin ou Jim Jarmusch) ont le blues. "Jusqu'à quand allons-nous pouvoir exercer notre métier, défendre la diversité et faire découvrir de jeunes auteurs ?", demande Fabienne Vonier, présidente de Pyramide. Ces intermédiaires entre les producteurs et les exploitants interviennent dans le financement des films, celui de leur sortie (promotion, tirage de copies) ainsi que dans la programmation dans les salles de cinéma.
Huit distributeurs indépendants de taille moyenne (Bac Films, Diaphana, Haut et Court, ID Distribution, Les Films du Losange, Pyramide, Rezo Films et Wild Bunch Distribution) se sont réunis au sein d'un syndicat professionnel, DIRE (Distributeurs indépendants réunis européens). Ils représentent 22 films sélectionnés au dernier Festival de Cannes ou, en termes économiques, 37 millions d'euros investis dans le cinéma français et européen en 2006.

Ils sont confrontés à un emballement du marché. Entre 1996 et 2005, le nombre de films a augmenté de 38 %, celui des copies de 105 %, provoquant mécaniquement un raccourcissement de la durée de vie des films les plus fragiles en salles. Chaque semaine, quinze films sortent sur les écrans, pour n'y rester qu'une à deux semaines, un temps insuffisant pour que le bouche-à-oreille fonctionne. "La durée de vie des films est trop courte, déplore Régine Vial, responsable de la distribution des Films du Losange. Un film qui faisait 300 000 entrées il y a plusieurs années en fait la moitié aujourd'hui. Or nous refusons que les films que nous défendons soient ghettoïsés."

Phénomène européen, la concentration de la distribution des films fragilise sérieusement les indépendants confrontés aux majors : en France, Gaumont Columbia, 20th Century Fox, Warner, Buena Vista, UIP... qui représentent 50 % de part de marché.

Par ailleurs, de nouvelles formes de concentration ont émergé. La plus préoccupante, pour DIRE, étant la création de filiales de distribution par des télévisions privées (TF1, M6 ou Canal+). "Nous n'avons plus accès aux droits des films étrangers en France. Ce sont les filiales des chaînes télévisées qui achètent les Woody Allen, Kim Ki-duk et James Ivory", affirme Mme Vonier.

AIDES "NI LOGIQUES NI JUSTES"

Cette concentration a pour corollaire une inflation du montant des frais de sortie des films. Et les dépenses publicitaires du cinéma sont passées de 129 millions d'euros en 1998 à 291 millions en 2004. Les seuls investissements publicitaires en salles ont été multipliés par 13, pour atteindre 34,05 millions d'euros. Les indépendants ne peuvent pas rivaliser avec la force de frappe publicitaire des groupes intégrés.

Or, face à ces bouleversements, "le système d'aides n'a pas bougé, affirme Jean-Michel Rey, gérant de Rezo Films. Il n'est ni logique ni juste que les sociétés de distribution intégrées à des télévisions perçoivent les mêmes aides automatiques à la distribution que les sociétés indépendantes". Mme Vonier ajoute qu'il n'est pas logique non plus qu'"un multiplexe ne soit pas incité à diffuser des films européens et qu'il reçoive des aides pour programmer exclusivement des hyperproductions hollywoodiennes et deux ou trois comédies françaises".

Le syndicat demande donc aux pouvoirs publics "une refonte complète du système d'aides actuel" pour que "le compte de soutien ne devienne pas un instrument de renforcement du marché, mais un outil pour en corriger les imperfections".

DIRE revendique encore une définition de la notion de distributeur indépendant excluant les filiales des chaînes télévisées et les groupes cinématographiques et de télécommunication.


Nicole Vulser
Article paru dans l'édition du 29.11.06. Le Monde

Un dixième film destiné aux enfants en forme d'"adieux"

Quelle étrange manière de faire ses adieux. Arthur et les Minimoys, dixième film de Luc Besson, sera le dernier qu'il réalisera, il l'a dit et redit. Et le voilà qui s'en va en laissant derrière lui le moins personnel, le plus anonyme de tous ses longs métrages. Arthur et les Minimoys est destiné aux enfants, mais ce n'est pas cette vocation qui confère au mélange d'images numériques et de prises de vues réelles sa saveur synthétique et anonyme.

Il manque d'abord au film un scénario. Ce qui en tient lieu est un synopsis de quelques phrases : Arthur vit avec sa grand-mère en Nouvelle-Angleterre. On est en 1960, les parents du petit garçon, qui va avoir 10 ans, sont sortis de sa vie, et son grand-père, qui fut explorateur, a disparu. Alors qu'un méchant créancier va expulser sa mamie, Arthur trouve le moyen de rejoindre l'univers des Minimoys, créatures minuscules que son aïeul a ramenées d'Afrique. Là, il conquiert le coeur de la princesse des Minimoys, délivre le petit peuple de la menace maléfique qui pèse sur lui, retrouve son grand-père et un trésor qui sauvera sa grand-mère de l'expulsion.

Ce n'est pas vraiment révéler la fin que de raconter tout ça. Les enjeux sont énumérés au long d'un prologue en prises de vues réelles qui voudrait évoquer un éden américain comme les petits Français l'ont découvert, il y a un demi-siècle, dans les albums cartonnés qui montraient de grosses voitures et de jolies maisons qui sentaient la tarte aux pommes. Cette Amérique-là a été reconstituée sous les pommiers normands. Dans la version française du film, la grand-mère a les traits de Mia Farrow et la voix de Valérie Lemercier, dont les talents s'annulent sous le poids de situations et de répliques si convenues qu'il est impossible de leur donner vie.

Une fois Arthur passé de l'autre côté du miroir (en l'occurrence une lentille de télescope), les choses s'arrangent un peu. L'univers des Minimoys procède d'une généalogie encombrée qui va des marionnettes de Dark Crystal aux insectes numériques de Mille et une pattes en passant par les hobbits du Seigneur des anneaux. Ce syncrétisme enfantin permet aussi d'importer - au hasard de l'une des tribulations d'Arthur et de la princesse - un personnage de patron de boîte d'ascendance africaine (en français comme en anglais, les rappers Rohff et Snoop, artistes à l'impeccable crédibilité de rue lui prêtent leur voix,) qui ressemble étonnamment au Jar Jar Bink du premier épisode de La Guerre des étoiles.

Cet agrégat est animé avec assez de fluidité pour que cette partie centrale passe plus vite que le prologue et l'inévitable et heureuse conclusion. On sort du film en se posant deux questions : les enfants goberont-ils la friandise made in France ou préféreront-ils les originaux américains, dont ils sont de toute façon familiers ? Luc Besson va-t-il revenir à de meilleurs sentiments et faire ses adieux avec plus de panache ?


Film français de Luc Besson avec Mia Farrow, Freddie Highmore et les voix de Valérie Lemercier, Alain Bashung, Mylène Farmer. (1 h 35.)
Au Grand Rex jusqu'au 13 décembre, puis dans toute la France.

Thomas Sotinel
Article paru dans l'édition du 30.11.06. Le Monde

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Luc Besson voit au-delà des "Minimoys"

Pour la sortie de son dernier long métrage, Arthur et les Minimoys, Luc Besson n'a pas lésiné sur les moyens. Le film d'animation sort à Paris mercredi 29 novembre, au Grand Rex, avant d'être distribué quinze jours plus tard dans tout l'Hexagone, en près d'un millier de copies - occupant ainsi presque un cinquième des écrans français.

Le budget du film le met au rang des très grosses productions françaises : 65,2 millions d'euros de devis déclarés au Centre national de la cinématographie, cofinancés essentiellement par la société de production de Luc Besson, Europacorp, mais aussi TF1 et Canal+. Le film est déjà prévendu aux Etats-Unis et en Italie.

Bien avant la sortie d'Arthur et les Minimoys en salles, la campagne de promotion de Luc Besson a commencé en 2002, date de mise en vente du premier tome des aventures de son héros en librairie.

"Depuis cette date, plus d'un million d'exemplaires des quatre tomes des aventures d'Arthur signées par Luc Besson ont été vendus par Intervista. En 2006, Arthur est devenu le cinquième héros préféré des Français en littérature jeunesse grand format après Eragon, Narnia, Harry Potter et les Orphelins Baudelaire", indique-t-on chez Ipsos. La série a été traduite dans 34 langues. De quoi préparer le terrain dans les cours de récréation avant le raz de marée dans les salles.

Luc Besson a réussi à faire payer ses campagnes de promotion par des tiers, qui eux-mêmes en tirent profit. Europacorp a conclu deux partenariats d'envergure, l'un avec Orange, l'autre avec BNP Paribas. Pour accompagner la sortie du film, des extraits du début ont été "remontés" par Luc Besson, afin qu'il soit accessible, par morceaux, sur un téléphone portable. L'opérateur de télécommunications propose pour la première fois des "mobiséances", jusqu'au 10 décembre : 21 épisodes du film, d'environ 2 minutes chacun, et un résumé hebdomadaire. Orange y voit un moyen d'augmenter le nombre de ses (jeunes) abonnés aux options multimédias. L'opérateur, qui a acheté pour un prix non divulgué le droit d'exploitation des images du film, a multiplié les rendez-vous sur ce thème (jeux avec Atari, tous les titres du catalogue Europacorp en vidéo à la demande, discussions sur Internet avec Luc Besson...)

Souvent mécène du cinéma, BNP Paribas a noué un partenariat, étalé sur trois ans, avec Europacorp. Pour 3 millions d'euros, la banque a orchestré toute sa communication autour du personnage d'Arthur (pour égayer quelque 22 kilomètres de vitrines, signer les campagnes de publicité, créer des sites Internet, offrir des effigies des personnages aux nouveaux titulaires des comptes...). Une façon de rajeunir l'image de la banque en touchant un public plus jeune. "Contrer la Caisse d'épargne, qui propose des carnets dans les maternités", explique la direction de la communication de BNP Paribas.

Europacorp, qui se refuse à donner toute précision, notamment financière, sur sa campagne de lancement d'Arthur, décline en outre une armada de produits dérivés pour le lancement du film : très lucratifs jeux vidéo (portables et consoles de salon), albums Panini, effigies des héros en jouets...

FAUX DÉPART

Après avoir affirmé à plusieurs reprises qu'Arthur et les Minimoys serait son dernier film, Luc Besson, qui a signé neuf longs métrages, dont Le Grand Bleu et Nikita, semble avoir changé d'avis. Si l'adaptation du premier volume d'Arthur a du succès, il se lancera dans l'adaptation du tome suivant, Arthur et la ville interdite. "Nous commencerons à tourner en juin 2007 si tout se passe bien", a déclaré le cinéaste, début octobre, en marge de la Foire du livre de Francfort.

Dans le domaine de la production, les ambitions du cinéaste vont prendre une nouvelle forme : le permis de construire de sa Cité du cinéma - gigantesque complexe de neuf plateaux de tournage et d'ateliers de décors, situé dans une ancienne centrale électrique à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) - a été accordé mi-novembre. "Nous espérons conclure l'achat du terrain à EDF d'ici à la fin de l'année, explique Geneviève Salinier, chargée du projet chez Europacorp, afin de pouvoir ouvrir mi-2009." Si les négociations achoppent encore avec EDF sur la prise en charge de la dépollution du terrain, les enquêtes publiques nécessaires au déplacement des lignes électriques haute tension, ou celles qui concernent les installations classées, ont été bouclées. Le projet Saint-Denis nécessite un financement de 130 millions d'euros, "sans recours à des fonds publics", précise Mme Salinier. Le site devrait accueillir de nombreuses sociétés spécialisées dans les industries techniques du cinéma (comme Eclair, Transpalux, Technovision, Buf Compagnie ou Quinta). Selon le cabinet d'architectes Reichen et Robert, le promoteur est en train d'être choisi. Vinci Immobilier semble être bien placé.

Enfin, pour compléter sa filière cinéma, Luc Besson doit bientôt devenir exploitant de salles : son projet de multiplexe à Marseille, intégré à Euro Med Center, devrait voir le jour en 2010.

Nicole Vulser
Article paru dans l'édition du 30.11.06. Le Monde

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La Chine et l'Iran s'invitent à Nantes

Bon an, mal an, le Festival des 3 Continents de Nantes, qui sillonne les terres d'Afrique, d'Amérique latine et d'Asie, reste une imprenable enclave cinéphile dans laquelle il fait bon chiner.

De la Chine, parlons-en justement, puisque c'est de ce pays en plein essor qu'est arrivé Noix de bétel, l'un des films les plus remarquables de la compétition, plutôt relevée, de cette 28e édition (du 21 au 28 novembre). Tirant un parti maximal des potentialités de l'outil numérique, Yang Heng scrute avec une patience inflexible - longs plans fixes, dialogues laconiques - le quotidien maussade d'une petite bande d'adolescents pris dans les griffes de l'ennui. L'attention dénuée de complaisance que porte le cinéaste à ses personnages lui permet de concilier vérité humaine et radicalité formelle : rappelant un peu le Xiao Wu, artisan pickpocket de Jia Zhang-ke, Noix de bétel est un film mû par une belle exigence et traversé de scènes indélébiles, parmi lesquelles se détache une fameuse cuite dans un bar-karaoké.

RÉCIT INITIATIQUE

Source apparemment intarissable de découvertes et d'émotions, l'Iran avait deux émissaires de choix en compétition. Alimentant la tension du récit sans sacrifier à l'élégance du plan, Asghar Farhadi relate avec Fireworks Wednesday une journée (très) particulière : celle que passe Rouhi, jeune femme sur le point de se marier, prise entre les traditionnelles pétarades d'une fête religieuse et les éclats de voix du couple en crise chez qui elle est venue travailler. Payée pour faire le ménage, elle va découvrir ce que vivre en ménage peut vouloir dire... Au terme de ce récit initiatique, son coeur sera chamboulé - autant que celui du spectateur.

Premier long métrage de Saman Salour, Quelques kilos de dattes pour un enterrement rompt davantage avec les canons esthétiques iraniens en adoptant une savoureuse liberté de ton. Filmées en un noir et blanc superbe, les péripéties de quelques mâles en quête d'âme soeur, perdus dans un no man's land couvert de neige, sont franchement irrésistibles, suscitant ce mélange d'hilarité et de mélancolie caractéristique du slapstick.

Pour finir, faisons un détour, hors compétition, par le Chili : d'une frappante compacité, Rabia fait l'effet d'un électrochoc. Serrant au plus près une jeune femme confrontée aux humiliations ordinaires des entretiens d'embauche, Oscar Cardenas Navarra fait affleurer une rage qui monte sourdement avant d'exploser lors d'une séquence finale qui tombe comme un couperet.


JÉRÔME PROVENÇAL
Article paru dans l'édition du 01.12.06. Le Monde

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"La Faute à Fidel" : l'engagement dans les yeux d'un enfant

Anna, 9 ans, ses petites robes fleuries, ses indiscrètes copines de classe, son turbulent petit frère et les fêtes de famille ou les vacances chez bonne-maman : c'est un schéma qu'on a vu cent fois, plus ou moins attendrissant ou complaisant, avec l'inévitable dévotion aux réflexions rigolotes et le regard amusé sur la découverte du sexe par les enfants. Le (premier) film de Julie Gavras s'empare de ces clichés mais avec un regard original.

Car Anna n'est pas une petite fille comme les autres. Ses parents sont "engagés". Adapté d'un roman italien de Domitilla Calamai (Actes Sud), La Faute à Fidel est l'histoire d'une gamine qui prend ombrage des actes militants de son père et de sa mère, et se sent abandonnée. Le temps passé à combattre les injustices de la planète lui semble volé, elle a le sentiment que l'on s'occupe moins d'elle que des victimes des dictatures, son espace vital est envahi par des réfugiés barbus, on lui parle luttes et solidarité alors qu'elle ne croit qu'au Père Noël.

Cette chronique cadrée à hauteur de queue de cheval raconte en même temps l'histoire d'une transmission d'idéaux, d'un apprentissage politique. D'instinct complice de grands-parents maternels bourgeois, gaullistes, outrés qu'on l'ait retirée du catéchisme et faisant des communistes une caricature d'un ancien temps, Anna râle contre le déménagement dans un appartement plus petit, les changements de nounou, le débarquement en France d'une tante espagnole dont l'époux a été tué par la police de Franco, l'envahissement du logis par des réfugiés chiliens. Mais peu à peu, et c'est en cela que le film devient touchant, son père lui explique le sens de son engagement, elle se fait initier à l'"esprit de groupe" par ses colocataires en exil, elle s'intéresse aux témoignages recueillis par sa mère qui prépare un livre sur des femmes ayant avorté avant la loi Veil.

Elle devient complice de ce qu'elle subissait, abandonne son air renfrogné, apprend à assumer sa différence, à distinguer "esprit de groupe" et réflexe du mouton de Panurge. Parallèlement à cette évocation des combats des années 1970, Julie Gavras retrace un pan de vie autobiographique. Elle avait 11 ans lorsque son père, Costa-Gavras, réalisait Missing, sur le coup d'Etat de Pinochet qui coûta la vie à Salvador Allende. L'arrière-plan chilien ne figurait pas dans le roman. Elle en fait un acte fondateur. La détresse de son père, un sentiment de proximité avec ses "grands frères" chiliens qui avaient suivi chez elle le résultat des élections, l'amènent à la fois à une prise de conscience, une proximité avec une famille agrandie, et à une solitude. Elle va devoir apprendre à gérer son propre univers.

Film français de Julie Gavras avec Nina Kervel, Julie Depardieu, Stefano Accorsi. (1 h 39.)

Jean-Luc Douin
Article paru dans l'édition du 29.11.06

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"Je pense à vous" : un vaudeville catastrophe

Un professeur de philo (Encore), un critique (Rien sur Robert) et un intellectuel communiste (Petites coupures) étaient les irrésistibles pitres des trois premiers films de Pascal Bonitzer. Je pense à vous ne quitte pas l'univers germanopratin. Cette comédie cocasse met cette fois face à face un éditeur (Edouard Baer) et un écrivain (Charles Berling).

Le premier s'apprête à publier un roman où le second raconte sa vie intime avec son ancienne maîtresse, laquelle fait appel à la justice pour que le texte soit édulcoré. Toute ressemblance avec quelques querelles médiatico-parisiennes, en particulier l'une dont Bonitzer fut protagoniste à son corps défendant, n'est pas fortuite. Je pense à vous pose le problème de l'utilisation de la vie privée d'autrui dans des oeuvres artistiques.

Mais on s'égarerait à considérer cet inventaire drolatique de dérapages comme un film à clés. Il s'agit d'abord de ce dont Bonitzer est devenu un fin spécialiste : le portrait d'un homme pris dans un imbroglio sentimental, que sa maladresse et sa lâcheté, son goût pour les idylles compliquées, le jusqu'au-boutisme ou la perversité de ses partenaires entraînent dans un maelström de quiproquos, de malentendus qui le laissent éberlué, humilié, dépossédé. Rien de plus communicative, chez lui, que la jubilation, attisée par un humour cruel, des dialogues aux audaces acérées, avec laquelle il plonge ses personnages dans des situations où ils perdent la face.

Ces spirales de paranoïa sont toujours alimentées par l'obsession d'un rival, à la fois intellectuel et sexuel. Cas de figure hypertendu ici : désigné pour prendre des claques (méritées ou pas), l'éditeur aux abois vit avec la femme dont le romancier a fait ses choux gras, et sa précédente compagne vient faire quelques provocations destructrices.

On en arrive à un vaudeville-catastrophe où l'éditeur subit les apparitions en trompe-l'oeil de son ex dans l'appartement conjugal, et voit son couple menacé par la jalousie - injustifiée - de sa femme (Géraldine Pailhas), laquelle le trompe avec un médecin qui n'est autre que l'actuel époux de la visiteuse à psychose. Imbroglio orchestré par le romancier qui n'est pas un modèle d'élégance, et aggravé par de malencontreux échanges de manteaux et de téléphones portables.

La nouveauté, dans cette variation sur la déréliction ridicule, c'est la délectation avec laquelle il incruste le malaise dans les salles de bains, et joue avec les codes fantastiques. Je pense à vous est hanté par deux brunes maléfiques, dont l'une (Marina de Van), celle qui, à la fois, s'offre et terrifie, apparaît dans un cimetière, fantôme revenu des enfers, pour reconquérir celui qu'elle aimait, un vampire prodigue en entrées inattendues, experte en nudités malvenues, indésirable au corps déglingué.

Dans l'antichambre du film d'horreur et en filiation avec un Eric Rohmer à l'affût des hommes soumis à la tentation, Pascal Bonitzer divertit sur le landerneau des lettres et la difficulté de vivre à deux, l'hésitation à passer à l'acte et l'impossibilité de se séparer, les femmes et les objets qui passent de main en main, le danger de badiner avec l'amour. Candides masochistes, ses héros succombent au vertige des mots (gag à répétition sur la phobie de l'antisémitisme), à la hantise perpétuelle d'être pris en flagrant délit de désir ou d'imposture.

Film français de Pascal Bonitzer avec Edouard Baer, Géraldine Pailhas, Charles Berling, Hippolyte Girardot, Marina de Van. (1 h 22.)

Jean-Luc Douin
Article paru dans l'édition du 29.11.06. Le Monde

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