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12.01.2006

«La Faute» à 68

La fille de Costa-Gavras s'inspire des engagements de ses parents.
Par Samuel DOUHAIRE
QUOTIDIEN : mercredi 29 novembre 2006
La faute à Fidel ! de Julie Gavras, avec Nina Kervel-Bey, Julie Depardieu, Stefano Accorsi. 1 h 39.

Julie Gavras (fille de Costa), s'était fait remarquer en 2002, avec le Corsaire, le Magicien, le Voleur et les Enfants, le suivi au long cours du travail d'une classe de CM1 sur le cinéma devenu un classique du documentaire sur (et à) l'école. Pour son premier long métrage de fiction, la jeune réalisatrice n'a pas quitté le monde de l'enfance avec l'adaptation très libre d'un roman de l'Italienne Domitilla Calamai (1), la Faute à Fidel !, qui devrait raviver une foule de souvenirs pas forcément nostalgiques chez les trentenaires d'aujourd'hui élevés dans une famille imprégnée des idéaux de Mai 68.
Défilé. Parce que ses géniteurs plutôt aisés (maman issue de la grande bourgeoisie bordelaise, papa de l'aristocratie militaire espagnole) ont décidé, un beau matin, de changer le monde (elle en écrivant un livre de témoignages militants sur les femmes qui ont avorté, lui en conseillant le gouvernement du socialiste chilien Salvador Allende), la petite Anna doit quitter sa belle maison avec jardin et bonne à demeure pour un appartement étriqué sous les toits envahi de barbus pouilleux qui chantent El Ejército del Ebro. On en connaît qui, vingt ans après, ont voté Madelin pour moins que ça...
Pendant plus d'une heure et demie, le film ne modifiera pas d'un degré son point de vue initial : celui d'une petite fille de 9 ans qui voit son univers et ses certitudes s'écrouler. La séquence de la manif antifranquiste (où Anna a été emmenée par ses parents décidément irresponsables) est un bel exemple de cette vision subjective : les images du défilé se limitent à des pieds et à des dos, et la charge des CRS dans la brume des fumigènes devient aussi terrifiante qu'une catastrophe naturelle. Le plus souvent, le point de vue de l'enfant se révèle plus «mental» que physique, au plus près de ses confusions et de ses contradictions, Julie Gavras ayant eu l'intelligence de refuser la solution facile d'une caméra placée en contre-plongée à un mètre trente du sol.
La faute à Fidel ! touche ainsi dans sa dimension de récit initiatique, dans sa description souvent drôle d'un entre-deux psychique où, si l'enfant commence à comprendre que ses parents n'ont pas forcément les réponses définitives à toutes ses questions, il n'est pas encore prêt à leur pardonner cette «trahison».
Peste. La petite Nina Kervel-Bey se révèle à la hauteur (si l'on peut dire) de cette ambition narrative, avec ses faux airs de petite fille modèle, adorable petite peste que l'on a alternativement envie de gifler et d'embrasser. On saura également gré à Julie Gavras de nous avoir épargné les sempiternels poufs en polystyrène, tabourets en plastique orange et autres lampes Knoll en guise de décoration «typiquement» seventies : sa reconstitution sobre des années Pompidou n'est pas la moindre qualité de la Faute à Fidel ! .

"La Faute à Fidel" : l'engagement dans les yeux d'un enfant

Anna, 9 ans, ses petites robes fleuries, ses indiscrètes copines de classe, son turbulent petit frère et les fêtes de famille ou les vacances chez bonne-maman : c'est un schéma qu'on a vu cent fois, plus ou moins attendrissant ou complaisant, avec l'inévitable dévotion aux réflexions rigolotes et le regard amusé sur la découverte du sexe par les enfants. Le (premier) film de Julie Gavras s'empare de ces clichés mais avec un regard original.

Car Anna n'est pas une petite fille comme les autres. Ses parents sont "engagés". Adapté d'un roman italien de Domitilla Calamai (Actes Sud), La Faute à Fidel est l'histoire d'une gamine qui prend ombrage des actes militants de son père et de sa mère, et se sent abandonnée. Le temps passé à combattre les injustices de la planète lui semble volé, elle a le sentiment que l'on s'occupe moins d'elle que des victimes des dictatures, son espace vital est envahi par des réfugiés barbus, on lui parle luttes et solidarité alors qu'elle ne croit qu'au Père Noël.

Cette chronique cadrée à hauteur de queue de cheval raconte en même temps l'histoire d'une transmission d'idéaux, d'un apprentissage politique. D'instinct complice de grands-parents maternels bourgeois, gaullistes, outrés qu'on l'ait retirée du catéchisme et faisant des communistes une caricature d'un ancien temps, Anna râle contre le déménagement dans un appartement plus petit, les changements de nounou, le débarquement en France d'une tante espagnole dont l'époux a été tué par la police de Franco, l'envahissement du logis par des réfugiés chiliens. Mais peu à peu, et c'est en cela que le film devient touchant, son père lui explique le sens de son engagement, elle se fait initier à l'"esprit de groupe" par ses colocataires en exil, elle s'intéresse aux témoignages recueillis par sa mère qui prépare un livre sur des femmes ayant avorté avant la loi Veil.

Elle devient complice de ce qu'elle subissait, abandonne son air renfrogné, apprend à assumer sa différence, à distinguer "esprit de groupe" et réflexe du mouton de Panurge. Parallèlement à cette évocation des combats des années 1970, Julie Gavras retrace un pan de vie autobiographique. Elle avait 11 ans lorsque son père, Costa-Gavras, réalisait Missing, sur le coup d'Etat de Pinochet qui coûta la vie à Salvador Allende. L'arrière-plan chilien ne figurait pas dans le roman. Elle en fait un acte fondateur. La détresse de son père, un sentiment de proximité avec ses "grands frères" chiliens qui avaient suivi chez elle le résultat des élections, l'amènent à la fois à une prise de conscience, une proximité avec une famille agrandie, et à une solitude. Elle va devoir apprendre à gérer son propre univers.

Film français de Julie Gavras avec Nina Kervel, Julie Depardieu, Stefano Accorsi. (1 h 39.)

Jean-Luc Douin
Article paru dans l'édition du 29.11.06

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