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2.28.2007

La violence économique et le cinéma français

Nous sommes nombreux dans cette salle à être comédien, technicien ou réalisateur de cinéma. C’est l’alliance de nos forces, de nos talents et de nos singularités qui fabrique chaque film que produit le cinéma français. Par ailleurs, nous avons un statut commun: nous sommes intermittents du spectacle. Certains d’entre nous sont indemnisés, d’autres non; soit parce qu’ils n’ont pas travaillé suffisamment d’heures, soit, à l’inverse, parce que leurs salaires sont trop élevés pour être indemnisés dans les périodes non-travaillées. C’est un statut unique au monde. Pendant longtemps, il était remarquable parce qu’il réussissait, tout en prenant en compte la spécificité de nos métiers, à atténuer un peu, un tout petit peu, la très grande disparité de revenus dans les milieux artistiques. C’était alors un système mutualisé. Ils produisaient une forme très concrète de solidarité entre les différents acteurs de la chaîne de fabrication d’un film, et aussi entre les générations. Depuis des années, le MEDEF s’acharne à mettre à mal ce statut, en s’attaquant par tous les moyens possibles à la philosophie qui a présidé à sa fondation. Aujourd’hui, il y est presque arrivé. De réformes en nouveau protocole, il est arrivé à transformer un système mutualisé en système capitalisé. Et cela change tout. Cela veut dire, par exemple, que le montant des indemnités n’est plus calculé sur la base de la fonction de son bénéficiaire mais exclusivement sur le montant de son salaire. Et plus ce salaire est haut, plus haut sera le montant de ses indemnités. Et on en arrive à une absurdité complète du système où, sous couvert de résorber un déficit, on exclut les plus pauvres pour mieux indemniser les plus riches.

Or, au même moment exactement, à un autre bout de la chaîne de fabrication des films, d’autres causes produisent les mêmes effets. Je veux parler du système de financement des films qui aboutit d’un côté à des films de plus en plus riches et de l’autre à des films extrêmement pauvres. Cette fracture est récente dans l’histoire du cinéma français. Jusqu’à il n’y a pas si longtemps, ce qu’on appelait les films du milieu - justement parce qu’ils n’étaient ni très riches ni très pauvres - étaient même une sorte de marque de fabrique de ce que le cinéma français produisait de meilleur. Leurs auteurs - de Renoir à François Truffaut, de Jacques Becker à Alain Resnais - avaient la plus haute opinion des spectateurs à qui ils s’adressaient et la plus grande ambition pour l’art cinématographique. Ils avaient aussi, bon an mal an, les moyens financiers de leurs ambitions. Or, ce sont ces films-là que le système de financement actuel, et en premier lieu les chaînes de télévision, s’emploient très méthodiquement à faire disparaître.

En assimilant les films à vocation artistique aux films pauvres et les films de divertissement aux films riches, en cloisonnant les deux catégories, en rendant quasi impossible pour un cinéaste d’aujourd’hui le passage d’une catégorie à une autre, le système actuel trahit l’héritage des plus grands cinéastes français. Et leur volonté acharnée de ne jamais dissocier création cinématographique, point de vue personnel et adresse au plus grand nombre. Ce faisant, il défait, maille après maille, le goût des spectateurs; alors même que, pendant des décennies, le public français était considéré comme le plus curieux, le plus exigeant, le plus cinéphile du monde.

Ici comme ailleurs, la violence économique commence par tirer vers le bas le goût du public puis cherche à nous opposer. Elle n’est pas loin d’y arriver. Les deux systèmes de solidarité - entre les films eux-mêmes et entre ceux qui les font -, ces deux systèmes qui faisaient tenir ensemble le cinéma français sont au bord de la rupture.

Alors peut-être est-il temps de nous réveiller. Peut-être est-il temps de nous dire que notre amour individuel pour le cinéma, aussi puissant soit-il, n’y suffira pas. Peut-être est-il temps de se battre, très méthodiquement nous aussi, pour refonder des systèmes de solidarité mis à mal et restaurer les conditions de production et de distribution de films qui, tout en donnant à voir la complexité du monde, allient ambition artistique et plaisir du spectacle.

Nous n’y arriverons pas, bien sûr, sans une forme de volonté politique d’où qu’elle vienne. Or, sur de tels sujets, force nous est de constater que celle-ci est désespérément muette.

Mais rassurons-nous. Il reste 55 jours aux candidats à l’élection présidentielle pour oser prononcer le mot «culture».

转自2007年2月26日《Libération》。

Cinéma, la France joue la qualité

Par de Renaud DONNEDIEU VABRES
QUOTIDIEN : mercredi 28 février 2007 Liberation
Renaud Donnedieu de Vabres ministre de la Culture et de la Communication.

Le système français cloisonnerait-il les films, en ne permettant qu'aux films «de divertissement» d'avoir des budgets importants, tandis qu'il y aurait une autre catégorie, les films «à vocation artistique» qui seraient aussi des films «pauvres» ? Y a-t-il dissociation aujourd'hui entre la création cinématographique, le point de vue personnel et l'adresse au plus grand nombre ?
Je veux répondre à ces questions sur l'état du cinéma français, non dans un esprit polémique mais parce qu'il est de mon rôle et de mon devoir de rétablir certaines vérités. J'y réponds aussi parce que le cinéma français, ceux qui se battent pour sa créativité, son financement, et son public, méritent mieux que des pétitions de principe, teintées peut-être d'arrière-pensées. Oui, le cinéma mérite mieux que la seule plainte. Il exige une vigilance et une action constante, comme les pouvoirs publics s'y emploient maintenant depuis plusieurs décennies, et avec une énergie accrue depuis 2002.
Je récuse l'opposition introduite par certains entre cinéma commercial et cinéma d'auteur. La force et la particularité du cinéma français sont d'être le fruit de la création d'auteurs qui ont parfois pour ambition de viser un large public, et d'autre fois de réaliser des oeuvres plus personnelles, et plus risquées, par rapport à l'écho qu'elles peuvent trouver auprès des spectateurs. Mais serait-ce parce qu'un film rencontre un succès auprès du public, qu'il perdrait pour autant ses qualités artistiques ? De nombreux films montrent heureusement qu'il n'en est rien.
Les moyens sont réunis aujourd'hui en France pour qu'un cinéma innovant et indépendant des modes et des pressions commerciales du moment puisse rencontrer un public. Je rappellerai rapidement les éléments les plus importants : un réseau de salles qui est le premier d'Europe et un réseau art et essai qui est le premier du monde ; un tissu d'entreprises indépendantes très actives et soutenu notamment par les aides sélectives, en permanence réajustées et renforcées pour accroître leur impact et leur efficacité ; un soutien renouvelé au court métrage, essentiel à la création et aux nouveaux talents ; et sans oublier bien sûr un système de soutien à l'emploi des artistes et des techniciens, par un régime spécifique d'assurance chômage maintenu au sein de la solidarité interprofessionnelle et par une convention collective en cours de renégociation.
La vitalité et la diversité du cinéma français sont une réalité. D'une part, les chiffres de la production cinématographique 2006 font apparaître un nombre de films produits identique à celui de 2004 (203 films), après une année 2005 atypique (240 films).
Ces données indiquent ainsi une stabilisation à un niveau élevé du nombre de films produits, autour de 200, avec des investissements toujours importants, supérieurs au milliard d'euros. D'autre part, le public aime le cinéma français, qui représente 45 % de part de marché, soit plus de 84 millions d'entrées pour les films français en 2006 : c'est un record depuis 1984.
Cette réalité est le résultat du soutien constant des pouvoirs publics et ne pourrait exister sans la participation des télévisions. Certes, les rapports du cinéma et de la télévision n'ont jamais été simples. Mais le financement du cinéma en France a besoin de la télévision. Est-il nécessaire de rappeler que c'est grâce au mécanisme de financement du cinéma par les chaînes de télévision que le cinéma français, à la différence du cinéma italien, n'est pas mort ? Et que propose-t-on à la place ? Beaucoup de premiers films existent parce qu'une chaîne de télévision accepte de prendre le risque d'investir dans une première oeuvre. La très grande majorité des auteurs plaident d'ailleurs plutôt pour un accroissement des obligations d'investissement des chaînes de télévision dans le cinéma. Pour aller dans ce sens, j'ai souhaité que l'obligation passe de 3,2 % à 3,5 % dans le contrat d'objectifs et de moyens d'Arte qui vient d'être adopté.
Je tiens enfin à rappeler le succès d'un ensemble de mesures qui bénéficient au cinéma français et mises en place par ce gouvernement. C'est tout d'abord la création d'un crédit d'impôt cinéma, qui bénéficie à 115 films en 2006. C'est ensuite le développement des aides en régions, avec la création du dispositif «1 euro de l'Etat pour 2 euros de la collectivité». Ce sont aussi les Soficas (mécanisme fiscal pour les particuliers qui permet de financer des films, dont l'attractivité a été maintenue malgré la suppression des niches fiscales) qui ont permis en 2006, d'attirer 66 millions d'euros au total, un chiffre sans précédent. C'est enfin la modernisation de la taxe alimentant le compte de soutien à l'industrie des programmes, qui y fait désormais participer tous les distributeurs, y compris les fournisseurs d'accès à l'Internet. Adoptée le 22 février 2007 dans le cadre de la loi relative à la modernisation audiovisuelle et à la télévision du futur, cette réforme majeure pour l'avenir du cinéma français et de son financement garantira le dynamisme nécessaire aux recettes du compte de soutien.
Les mots «culture» et «diversité culturelle» sont au coeur de mon action quotidienne. Et ils sont au coeur du projet présidentiel et de la volonté politique de cette majorité. Le système français d'aide au cinéma, désormais reconnu et validé par la commission européenne, est un acquis dont chacun doit prendre l'engagement de ne pas le remettre en cause. L'améliorer encore, c'est mon ambition.

12.01.2006

Straub-Huillet, dernières «Rencontres»

Alors que Danièle Huillet vient de mourir, «Ces rencontres avec eux» restera comme le dernier manifeste du couple de cinéastes marxistes, altièrement indépendants.

QUOTIDIEN : Mercredi 18 octobre 2006 - 06:00
Ces rencontres avec eux de Danièle Huillet et Jean-Marie Straub, avec Angela Nugara, Vittorio Vigneri, Grazia Orsi. 1 h 08.

ue s'est-il passé dans les derniers Straub, soit toute la décennie des adaptations de textes de l'écrivain Elio Vittorini ( Sicilia ! , Ouvriers, paysans et le Retour du fils prodigue-Humiliés ) ? L'espace s'est progressivement rétréci. En adaptant Vittorini, et à travers lui son communisme, les Straub avaient fait peser les corps de leurs acteurs paysans de tout leur poids. Le monde semblait se résumer à un sous-bois élégiaque ­ autant dire un dernier refuge. S'il ressemble extérieurement aux films de cycle, Ces rencontres avec eux est pourtant adapté d'un autre grand Italien : Cesare Pavese. Ce sont cinq des vingt-sept Dialogues avec Leucó (écrits en 1947), livre dont les Straub avaient déjà tiré un anachronique De la nuée à la résistance à la fin des années 70, tout en toge mais joué dans la Rome contemporaine. Ces toges, ils y ont aujourd'hui renoncé. Quand ils adaptaient Kafka en 1985, les Straub réussissaient à le marxiser. Adaptant Pavese en 2006, ils continuent obstinément le communisme de Vittorini. Il filme donc les attaques que Pavese l'athée porte à la mythologie, donc à l'Italie, en la filmant de pied, ici et maintenant ­ comme on dit, à prendre et à laisser.

Ça tient du bon sens : Pavese s'intéresse aux dieux lorsque ceux-ci ont voulu devenir humains, descendre sur Terre et goûter aux saveurs de la mortalité. Des dieux à qui ne manquait que notre trop humaine «fragilité» . Pour Danièle Huillet et Jean-Marie Straub, la rencontre hommes et dieux a déjà eu lieu et les dieux sont beaux comme des femmes et des hommes paysans.
Bia (la violence) et Cratos (le pouvoir) peuvent désespérer de voir Zeus descendu si bas, sur Terre ; Demeter et Dionysos ou un satyre et une nymphe peuvent discourir sur le monstrueux ; Mnémosyne et Hésiode ramener le langage au pouvoir de création ( «Tu dis un nom et la chose est pour toujours» ), ils ont apparence humaine, leur règne est fini.
Danièle Huillet est morte dans la nuit de lundi à mardi dernier. Cette mort, aujourd'hui que nous devons faire semblant d'écrire un compte rendu critique comme si de rien n'était, jette sur le film un éclairage évidemment tout autre. Il y a le texte de Pavese, qu'il faut entendre dans l'étendue de ses significations, mais il y a cette information supplémentaire qui vient se superposer au texte, le raturer jusqu'à en étouffer le son (un comble, pour celle qui a appris à tant de cinéphiles à entendre un texte, un vent, une respiration). A l'image par contre, on croit y voir plus clair que jamais : quatre de ces cinq dialogues sont ceux d'un homme et d'une femme.
Le couple Straub-Huillet aura dialectisé jusqu'à l'image une manière de distribuer les rôles à égalité. Ils l'ont fait sans sentimentalisme apparent, et plutôt en tournant le dos (et c'est la position résistante du premier dialogue). Le dernier dialogue réunit deux hommes aux yeux baissés, le fusil de chasse en berne. La femme est l'absence de femme, et la désespérance qui suit pousse la caméra à les abandonner avant de se tourner vers le ciel de Buti (où est tourné le film). Un ciel désespérément vide, et amèrement barré d'une ligne électrique. Chut... L'évidence ne se commente pas.

Philippe Azoury

PS : on n'attend des Straub qu'ils nous contredisent : c'est leur puissance. Il n'y a pas de raison que ça change. On a cédé plus haut à la tentation de voir dans Ces rencontres avec eux une forme testamentaire, la clôture d'une oeuvre, sa fin programmée. Les Straub, pour nous défaire, ont court-circuité cette boucle trop bien bouclée en faisant circuler sous le manteau ces dernières semaines un film de quelques minutes, intitulé Ciné manifeste et produit pour la chaîne italienne Rai 3. Soit cinq fois le même mouvement sur une rue de banlieue et, au loin, un transformateur électrique. Un texte, lui aussi anonyme, accompagne ce film si évidemment signé (il n'y a qu'à voir les cadres) : «Le 27 octobre 2005 à Clichy-sous-Bois, trois jeunes garçons affolés, poursuivis par la police, se réfugient dans le périmètre interdit d'un transformateur électrique. Deux vont mourir, brûlés vifs, Bouna et Zyed. Si vous en pleurez encore...» On peut voir ce court métrage à l'adresse www.pierregrise.com



Haut les «Coeurs»

Par Gérard LEFORT
QUOTIDIEN : mercredi 22 novembre 2006
Coeurs d'Alain Resnais, avec Pierre Arditi, Sabine Azéma, André Dussollier, Lambert Wilson. 2 h 05.

Ça n'est pas banal, un film où il neige sans répit, toujours et partout, et parfois même dans la cuisine d'un appartement parisien. Cette intempérie est au coeur de Coeurs, le nouveau film d'Alain Resnais. Au point que l'on pourrait dire que ce film en couleurs est aussi en neige. C'est joli la neige quand on la regarde tomber, mais c'est froid lorsqu'on la touche, et surtout elle finit presque toujours par fondre et disparaître. Coeurs serait-il un film de fondu ou de givré ? Il faut l'être en effet pour prendre tout son temps (2 h 05) à raconter un chassé à peine croisé entre des personnages fantomatiques où il n'y a que l'âme qui vive, et encore. Un film où le plus vivant des protagonistes est un homme invisible, un certain Arthur, vieillard colérique et lubrique dont ne verra rien de plus sur son lit de grabataire que les pieds. Oui, il faut être givré, il faut avoir les cheveux blancs comme neige, il faut être Alain Resnais.

L'ouverture au sens symphonique est celle d'un grand chef. La caméra est un oiseau de nuit qui fond d'un ciel d'encre, plane entre les tours éteintes de la Bibliothèque nationale de France et pique vers les fenêtres d'un appartement de ce «nouveau» XIIIe arrondissement de Paris où les architectures de verre et de métal sont des illusions de transparence. Mais qui est donc aux commandes de ce vol plané ? Un Nosferatu d'autrefois ? Un kamikaze d'aujourd'hui ? Plus de peur que de mal, c'est le missile du cinéma qui a atteint sa cible, la fusée de la fiction qui vient de crever l'écran. Sans qu'aucune explosion ni carnage ne s'ensuivent, pas un bruit, pas un cri. Le feu est tout entier d'artifices dans ces Coeurs silencieux.
Qu'y a-t-il à l'intérieur du film ? Trois femmes et trois hommes. Chacun cherche sa chacune. Cette Charlotte-ci est une vieille fille bigote. Ce Thierry-là, aussi fané qu'elle, est son collègue de bureau dans une agence immobilière. Cette Gaëlle-ci est la soeur jeune et jolie de Thierry. Ce Dan-là est un officier militaire au chômage. Cette Nicole-ci est sa fiancée qui en a marre. Ce Lionel-là est barman de nuit dans un palace moderne. Et Arthur ? Arthur, il fait le mort ou presque. De-ci, de-là, des frères, des soeurs, des vieux, des jeunes, des hommes et des femmes, qui se composent et se décomposent, ou s'exténuent dans les redondances de la conjugalité.
Fraternité. A l'aune de ce courrier du coeur, chaque personnage, comme une petite annonce lancée sur l'Internet sentimental, n'existe, n'a du caractère (métier, désirs...) qu'en abrégé. Le film se comporte lui-même comme un club de rencontres et n'est pas hostile à l'échangisme. Avec la mythomanie consubstantielle au genre et les déceptions afférentes : de quiproquos en gros chagrins, tous les désespoirs sont permis. Puisqu'on sait que Resnais connaît la chanson, il n'est pas interdit, sur un air connu, de fredonner : «Mais au bout du compte, on se rend compte qu'on est toujours tout seul au monde.» Refrain implicite du film, mais sûrement pas sa morale.
Il y a en effet dans cet oeuvre apparemment funèbre, une étrange gaieté, un curieux optimisme, et pour tout dire un appel à la fraternité. Sans doute parce que l'aspect documentaire comique n'est pas négligeable (cf. l'invention hilarante parce que plausible d'une émission de variétés catholiques). La part de reportage dans l'absurde n'est pas rien non plus et évoquera forcément quelque chose à qui s'est récemment approché d'une agence immobilière. Quant à la recommandation finale d'éteindre la télévision pour que la vie continue, elle est forcément encourageante.
Au conditionnel. Mais la vérité qui nous tient à Coeurs, c'est que Resnais aime ces petits personnages, drôles mais jamais grotesques, émouvants sans être embarrassants. Et qu'il les aime comme un cinéaste, c'est-à-dire avec grande affection pour ses acteurs. Les anciens, ses grands enfants (Azéma, Dussollier, Arditi), ses aînés depuis le temps, fidèles et parfaits. Mais aussi le cousin Lambert (Wilson) de plus en plus fils de famille au fil des films. Et les petites nouvelles, Laura Morante et Isabelle Carré, plus que bienvenues au Cercle. S'ils sont tous formidables avec une aussi belle équanimité, c'est qu'ils jouent au conditionnel. Pas seulement parce qu'ils en savent probablement plus que nous sur leurs personnages, mais parce qu'ils s'amusent à jouer comme si... Ce marivaudage n'est pas le pire divertissement du monde. Comme la vie, comme Alain Resnais lui-même, ce film vient de la nuit et s'enfonce dans le brouillard. Entre temps, en 54 tableaux d'une exposition temporaire, il est chaudement recommandé d'en profiter.

«Minimoys», dernier Besson

«Minimoys», dernier Besson
Il s'essaie à la 3D dans ce qu'il annonce comme sa dernière réalisation.
Par Didier PERON

QUOTIDIEN : mercredi 29 novembre 2006
Arthur et les Minimoys de Luc Besson, 1 h 42. En exclusivité au Grand Rex (Paris), sortie nationale le 13 décembre.

Après le film surprise de l'été, Angel-A, Luc Besson frappe une seconde fois à la porte des sorties 2006 avec Arthur et les Minimoys , annoncé comme sa possible dernière réalisation. Ce serait, s'il s'y tient, son dixième long métrage depuis le Dernier Combat (1983). En vingt-trois ans, le jeune homme ruant dans les brancards de l'establishment du cinéma français est devenu à son tour un producteur-distributeur puissant, probablement plus craint que véritablement respecté, à la tête de sa boîte EuropaCorp. Autant la politique de production de Besson restera comme l'une des plus calamiteuse de l'époque avec des crétineries néobeaufs comme Taxi ou Fanfan la Tulipe, autant sa filmo propre est marqué du sceau de l'originalité.
Peu de ses films ont trouvé grâce aux yeux des cinéphiles, mais il a réussi là où son exact contemporain et cousin esthétique Jean-Jacques Beinex a échoué. La patte Besson est fortement marquée par une esthétique émergente dans les années 80, empruntant à l'univers du clip et de la pub, avec ses dominantes bleutées ou son chromatisme saturé, son glamour de récupération croisant les fantasmes hollywoodiens et la bande dessinée. Mais, quand Beinex se pète la gueule avec la Lune dans le caniveau par excès de poses littéraires et d'emprunts au réalisme poétique, Besson flaire l'humeur naissante du nouveau monde, celui qui va devenir virtuel, adolescent et suicidaire, cherchant l'immersion à corps perdu dans un bain amniotique de sensations fortes et de musique ambient. C'est le coup de force du Grand Bleu (1988).
Aujourd'hui, et c'est logique, Besson signe plutôt tardivement son premier dessin animé 3D avec une adaptation d'une saga pour enfant qu'il a coécrit avec Céline Garcia sur des illustrations de Patrice Garcia. Les petits personnages de lutins sont connus de tous depuis un an, puisqu'ils apparaissent sur les affiches publicitaires d'une grande banque partenaire du film. Lequel a été long à fabriquer, mobilisant le savoir-faire de quelque 700 personnes (selon le dossier de presse), en particulier l'équipe de BUF compagnie.
Mêlant des influences visuelles diverses ­ du Dark Crystal de Jim Henson et Franck Oz aux fantaisies de Tim Burton ­, les Minimoys est un divertissement plutôt plaisant et gonflé à bloc de trouvailles graphiques. L'utilisation des formes végétales (les lutins ont la taille de fourmis et vivent dans un jardin) s'entrechoque avec des références urbaines (séquences de boîte de nuit avec un vinyle servant de piste de danse). Ce qui ne va pas du tout en revanche, c'est une partie live avec des vrais morceaux d'acteurs dedans (dont Mia Farrow) et qui ressemble à une parodie de ce que Spielberg a fait de pire.

«La Faute» à 68

La fille de Costa-Gavras s'inspire des engagements de ses parents.
Par Samuel DOUHAIRE
QUOTIDIEN : mercredi 29 novembre 2006
La faute à Fidel ! de Julie Gavras, avec Nina Kervel-Bey, Julie Depardieu, Stefano Accorsi. 1 h 39.

Julie Gavras (fille de Costa), s'était fait remarquer en 2002, avec le Corsaire, le Magicien, le Voleur et les Enfants, le suivi au long cours du travail d'une classe de CM1 sur le cinéma devenu un classique du documentaire sur (et à) l'école. Pour son premier long métrage de fiction, la jeune réalisatrice n'a pas quitté le monde de l'enfance avec l'adaptation très libre d'un roman de l'Italienne Domitilla Calamai (1), la Faute à Fidel !, qui devrait raviver une foule de souvenirs pas forcément nostalgiques chez les trentenaires d'aujourd'hui élevés dans une famille imprégnée des idéaux de Mai 68.
Défilé. Parce que ses géniteurs plutôt aisés (maman issue de la grande bourgeoisie bordelaise, papa de l'aristocratie militaire espagnole) ont décidé, un beau matin, de changer le monde (elle en écrivant un livre de témoignages militants sur les femmes qui ont avorté, lui en conseillant le gouvernement du socialiste chilien Salvador Allende), la petite Anna doit quitter sa belle maison avec jardin et bonne à demeure pour un appartement étriqué sous les toits envahi de barbus pouilleux qui chantent El Ejército del Ebro. On en connaît qui, vingt ans après, ont voté Madelin pour moins que ça...
Pendant plus d'une heure et demie, le film ne modifiera pas d'un degré son point de vue initial : celui d'une petite fille de 9 ans qui voit son univers et ses certitudes s'écrouler. La séquence de la manif antifranquiste (où Anna a été emmenée par ses parents décidément irresponsables) est un bel exemple de cette vision subjective : les images du défilé se limitent à des pieds et à des dos, et la charge des CRS dans la brume des fumigènes devient aussi terrifiante qu'une catastrophe naturelle. Le plus souvent, le point de vue de l'enfant se révèle plus «mental» que physique, au plus près de ses confusions et de ses contradictions, Julie Gavras ayant eu l'intelligence de refuser la solution facile d'une caméra placée en contre-plongée à un mètre trente du sol.
La faute à Fidel ! touche ainsi dans sa dimension de récit initiatique, dans sa description souvent drôle d'un entre-deux psychique où, si l'enfant commence à comprendre que ses parents n'ont pas forcément les réponses définitives à toutes ses questions, il n'est pas encore prêt à leur pardonner cette «trahison».
Peste. La petite Nina Kervel-Bey se révèle à la hauteur (si l'on peut dire) de cette ambition narrative, avec ses faux airs de petite fille modèle, adorable petite peste que l'on a alternativement envie de gifler et d'embrasser. On saura également gré à Julie Gavras de nous avoir épargné les sempiternels poufs en polystyrène, tabourets en plastique orange et autres lampes Knoll en guise de décoration «typiquement» seventies : sa reconstitution sobre des années Pompidou n'est pas la moindre qualité de la Faute à Fidel ! .

Divertissement lacanien

Chassés-croisés et double fond : Pascal Bonitzer fidèle à son style.

Bonitzer est le champion d'un genre assez français, la comédie lacanienne. Il y a une moitié en lui qui tient de Rohmer et Marivaux, l'autre de Kafka et de l'humour juif, s'abattant comme les tables de la Loi sur la tête de ses héros. On sait les machines qu'il a précisément agencées pour Rivette ou avec Ruiz. Mais lorsqu'il écrit pour lui, c'est comme si la dimension conspiratrice de ses scénarios assumait avec amusement leur paranoïa. Le rire bonitzerien vient de ce qu'un névropathe se pointe sur le devant de la scène et avoue sa névrose, bien décidé à n'en pas démordre, puisque c'est ça qui est bon, justement.
Hermann (Edouard Baer), publie le roman de Worms (Charles Berling), qui raconte sa vie avec Diane (Géraldine Pailhas), son ex-compagne, désormais celle d'Hermann. Comme si ce n'était pas assez chassé, il faut en plus croiser une revenante, Anne (Marina de Van), ex d'Hermann, devenue femme d'Antoine, son psychiatre (Hippolyte Girardot). Passant par là, Worms prend une photo d'Anne avec Hermann sur son portable, qu'il transmet illico et en douce à Diane. Laquelle se prend de mépris pour Hermann.
Comme dans Rien sur Robert , le héros devra expier une faute fictive à la place de sa faute réelle. Et comme dans ce même film, on trouve un intello parisien usagé de la vie et souffrant du père, incarné par un rival amoureux le surplombant symboliquement (un écrivain) et deux femmes folles dont les désirs se liguent contre lui. Antoine indique crûment ce schéma psychanalytique au début du film : «Je suis obsessionnel, je suis fasciné par les hystériques.» De là que les femmes ont ici des comportements fort étranges. Misogynie ou ironie ? On penche pour la seconde. Bonitzer a pris soin d'enfermer ses héroïnes dans des problèmes d'évacuation intestinale, voire directement dans les toilettes.
A cause de double fond permanent, c'est un film dont vous êtes le héros. Chaque ligne du dialogue traîne un ennui et une satisfaction concomitante d'être soi, une conscience passive-agressive jetée à la face de son interlocuteur. Comme le dit Anne : «Moi, je n'aime personne.» Ou, Diane, plus spirituellement encore : «C'est quoi la déréliction ?»

Par Eric LORET
QUOTIDIEN : mercredi 29 novembre 2006
Je pense à vous de Pascal Bonitzer avec Edouard Baer, Géraldine Pailhas, Marina de Van, Charles Berling. 1 h 22