Par Gérard LEFORT
QUOTIDIEN : mercredi 22 novembre 2006
Coeurs d'Alain Resnais, avec Pierre Arditi, Sabine Azéma, André Dussollier, Lambert Wilson. 2 h 05.
Ça n'est pas banal, un film où il neige sans répit, toujours et partout, et parfois même dans la cuisine d'un appartement parisien. Cette intempérie est au coeur de Coeurs, le nouveau film d'Alain Resnais. Au point que l'on pourrait dire que ce film en couleurs est aussi en neige. C'est joli la neige quand on la regarde tomber, mais c'est froid lorsqu'on la touche, et surtout elle finit presque toujours par fondre et disparaître. Coeurs serait-il un film de fondu ou de givré ? Il faut l'être en effet pour prendre tout son temps (2 h 05) à raconter un chassé à peine croisé entre des personnages fantomatiques où il n'y a que l'âme qui vive, et encore. Un film où le plus vivant des protagonistes est un homme invisible, un certain Arthur, vieillard colérique et lubrique dont ne verra rien de plus sur son lit de grabataire que les pieds. Oui, il faut être givré, il faut avoir les cheveux blancs comme neige, il faut être Alain Resnais.
Ça n'est pas banal, un film où il neige sans répit, toujours et partout, et parfois même dans la cuisine d'un appartement parisien. Cette intempérie est au coeur de Coeurs, le nouveau film d'Alain Resnais. Au point que l'on pourrait dire que ce film en couleurs est aussi en neige. C'est joli la neige quand on la regarde tomber, mais c'est froid lorsqu'on la touche, et surtout elle finit presque toujours par fondre et disparaître. Coeurs serait-il un film de fondu ou de givré ? Il faut l'être en effet pour prendre tout son temps (2 h 05) à raconter un chassé à peine croisé entre des personnages fantomatiques où il n'y a que l'âme qui vive, et encore. Un film où le plus vivant des protagonistes est un homme invisible, un certain Arthur, vieillard colérique et lubrique dont ne verra rien de plus sur son lit de grabataire que les pieds. Oui, il faut être givré, il faut avoir les cheveux blancs comme neige, il faut être Alain Resnais.
L'ouverture au sens symphonique est celle d'un grand chef. La caméra est un oiseau de nuit qui fond d'un ciel d'encre, plane entre les tours éteintes de la Bibliothèque nationale de France et pique vers les fenêtres d'un appartement de ce «nouveau» XIIIe arrondissement de Paris où les architectures de verre et de métal sont des illusions de transparence. Mais qui est donc aux commandes de ce vol plané ? Un Nosferatu d'autrefois ? Un kamikaze d'aujourd'hui ? Plus de peur que de mal, c'est le missile du cinéma qui a atteint sa cible, la fusée de la fiction qui vient de crever l'écran. Sans qu'aucune explosion ni carnage ne s'ensuivent, pas un bruit, pas un cri. Le feu est tout entier d'artifices dans ces Coeurs silencieux.
Qu'y a-t-il à l'intérieur du film ? Trois femmes et trois hommes. Chacun cherche sa chacune. Cette Charlotte-ci est une vieille fille bigote. Ce Thierry-là, aussi fané qu'elle, est son collègue de bureau dans une agence immobilière. Cette Gaëlle-ci est la soeur jeune et jolie de Thierry. Ce Dan-là est un officier militaire au chômage. Cette Nicole-ci est sa fiancée qui en a marre. Ce Lionel-là est barman de nuit dans un palace moderne. Et Arthur ? Arthur, il fait le mort ou presque. De-ci, de-là, des frères, des soeurs, des vieux, des jeunes, des hommes et des femmes, qui se composent et se décomposent, ou s'exténuent dans les redondances de la conjugalité.
Fraternité. A l'aune de ce courrier du coeur, chaque personnage, comme une petite annonce lancée sur l'Internet sentimental, n'existe, n'a du caractère (métier, désirs...) qu'en abrégé. Le film se comporte lui-même comme un club de rencontres et n'est pas hostile à l'échangisme. Avec la mythomanie consubstantielle au genre et les déceptions afférentes : de quiproquos en gros chagrins, tous les désespoirs sont permis. Puisqu'on sait que Resnais connaît la chanson, il n'est pas interdit, sur un air connu, de fredonner : «Mais au bout du compte, on se rend compte qu'on est toujours tout seul au monde.» Refrain implicite du film, mais sûrement pas sa morale.
Il y a en effet dans cet oeuvre apparemment funèbre, une étrange gaieté, un curieux optimisme, et pour tout dire un appel à la fraternité. Sans doute parce que l'aspect documentaire comique n'est pas négligeable (cf. l'invention hilarante parce que plausible d'une émission de variétés catholiques). La part de reportage dans l'absurde n'est pas rien non plus et évoquera forcément quelque chose à qui s'est récemment approché d'une agence immobilière. Quant à la recommandation finale d'éteindre la télévision pour que la vie continue, elle est forcément encourageante.
Au conditionnel. Mais la vérité qui nous tient à Coeurs, c'est que Resnais aime ces petits personnages, drôles mais jamais grotesques, émouvants sans être embarrassants. Et qu'il les aime comme un cinéaste, c'est-à-dire avec grande affection pour ses acteurs. Les anciens, ses grands enfants (Azéma, Dussollier, Arditi), ses aînés depuis le temps, fidèles et parfaits. Mais aussi le cousin Lambert (Wilson) de plus en plus fils de famille au fil des films. Et les petites nouvelles, Laura Morante et Isabelle Carré, plus que bienvenues au Cercle. S'ils sont tous formidables avec une aussi belle équanimité, c'est qu'ils jouent au conditionnel. Pas seulement parce qu'ils en savent probablement plus que nous sur leurs personnages, mais parce qu'ils s'amusent à jouer comme si... Ce marivaudage n'est pas le pire divertissement du monde. Comme la vie, comme Alain Resnais lui-même, ce film vient de la nuit et s'enfonce dans le brouillard. Entre temps, en 54 tableaux d'une exposition temporaire, il est chaudement recommandé d'en profiter.
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