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2.28.2007

La violence économique et le cinéma français

Nous sommes nombreux dans cette salle à être comédien, technicien ou réalisateur de cinéma. C’est l’alliance de nos forces, de nos talents et de nos singularités qui fabrique chaque film que produit le cinéma français. Par ailleurs, nous avons un statut commun: nous sommes intermittents du spectacle. Certains d’entre nous sont indemnisés, d’autres non; soit parce qu’ils n’ont pas travaillé suffisamment d’heures, soit, à l’inverse, parce que leurs salaires sont trop élevés pour être indemnisés dans les périodes non-travaillées. C’est un statut unique au monde. Pendant longtemps, il était remarquable parce qu’il réussissait, tout en prenant en compte la spécificité de nos métiers, à atténuer un peu, un tout petit peu, la très grande disparité de revenus dans les milieux artistiques. C’était alors un système mutualisé. Ils produisaient une forme très concrète de solidarité entre les différents acteurs de la chaîne de fabrication d’un film, et aussi entre les générations. Depuis des années, le MEDEF s’acharne à mettre à mal ce statut, en s’attaquant par tous les moyens possibles à la philosophie qui a présidé à sa fondation. Aujourd’hui, il y est presque arrivé. De réformes en nouveau protocole, il est arrivé à transformer un système mutualisé en système capitalisé. Et cela change tout. Cela veut dire, par exemple, que le montant des indemnités n’est plus calculé sur la base de la fonction de son bénéficiaire mais exclusivement sur le montant de son salaire. Et plus ce salaire est haut, plus haut sera le montant de ses indemnités. Et on en arrive à une absurdité complète du système où, sous couvert de résorber un déficit, on exclut les plus pauvres pour mieux indemniser les plus riches.

Or, au même moment exactement, à un autre bout de la chaîne de fabrication des films, d’autres causes produisent les mêmes effets. Je veux parler du système de financement des films qui aboutit d’un côté à des films de plus en plus riches et de l’autre à des films extrêmement pauvres. Cette fracture est récente dans l’histoire du cinéma français. Jusqu’à il n’y a pas si longtemps, ce qu’on appelait les films du milieu - justement parce qu’ils n’étaient ni très riches ni très pauvres - étaient même une sorte de marque de fabrique de ce que le cinéma français produisait de meilleur. Leurs auteurs - de Renoir à François Truffaut, de Jacques Becker à Alain Resnais - avaient la plus haute opinion des spectateurs à qui ils s’adressaient et la plus grande ambition pour l’art cinématographique. Ils avaient aussi, bon an mal an, les moyens financiers de leurs ambitions. Or, ce sont ces films-là que le système de financement actuel, et en premier lieu les chaînes de télévision, s’emploient très méthodiquement à faire disparaître.

En assimilant les films à vocation artistique aux films pauvres et les films de divertissement aux films riches, en cloisonnant les deux catégories, en rendant quasi impossible pour un cinéaste d’aujourd’hui le passage d’une catégorie à une autre, le système actuel trahit l’héritage des plus grands cinéastes français. Et leur volonté acharnée de ne jamais dissocier création cinématographique, point de vue personnel et adresse au plus grand nombre. Ce faisant, il défait, maille après maille, le goût des spectateurs; alors même que, pendant des décennies, le public français était considéré comme le plus curieux, le plus exigeant, le plus cinéphile du monde.

Ici comme ailleurs, la violence économique commence par tirer vers le bas le goût du public puis cherche à nous opposer. Elle n’est pas loin d’y arriver. Les deux systèmes de solidarité - entre les films eux-mêmes et entre ceux qui les font -, ces deux systèmes qui faisaient tenir ensemble le cinéma français sont au bord de la rupture.

Alors peut-être est-il temps de nous réveiller. Peut-être est-il temps de nous dire que notre amour individuel pour le cinéma, aussi puissant soit-il, n’y suffira pas. Peut-être est-il temps de se battre, très méthodiquement nous aussi, pour refonder des systèmes de solidarité mis à mal et restaurer les conditions de production et de distribution de films qui, tout en donnant à voir la complexité du monde, allient ambition artistique et plaisir du spectacle.

Nous n’y arriverons pas, bien sûr, sans une forme de volonté politique d’où qu’elle vienne. Or, sur de tels sujets, force nous est de constater que celle-ci est désespérément muette.

Mais rassurons-nous. Il reste 55 jours aux candidats à l’élection présidentielle pour oser prononcer le mot «culture».

转自2007年2月26日《Libération》。

Cinéma, la France joue la qualité

Par de Renaud DONNEDIEU VABRES
QUOTIDIEN : mercredi 28 février 2007 Liberation
Renaud Donnedieu de Vabres ministre de la Culture et de la Communication.

Le système français cloisonnerait-il les films, en ne permettant qu'aux films «de divertissement» d'avoir des budgets importants, tandis qu'il y aurait une autre catégorie, les films «à vocation artistique» qui seraient aussi des films «pauvres» ? Y a-t-il dissociation aujourd'hui entre la création cinématographique, le point de vue personnel et l'adresse au plus grand nombre ?
Je veux répondre à ces questions sur l'état du cinéma français, non dans un esprit polémique mais parce qu'il est de mon rôle et de mon devoir de rétablir certaines vérités. J'y réponds aussi parce que le cinéma français, ceux qui se battent pour sa créativité, son financement, et son public, méritent mieux que des pétitions de principe, teintées peut-être d'arrière-pensées. Oui, le cinéma mérite mieux que la seule plainte. Il exige une vigilance et une action constante, comme les pouvoirs publics s'y emploient maintenant depuis plusieurs décennies, et avec une énergie accrue depuis 2002.
Je récuse l'opposition introduite par certains entre cinéma commercial et cinéma d'auteur. La force et la particularité du cinéma français sont d'être le fruit de la création d'auteurs qui ont parfois pour ambition de viser un large public, et d'autre fois de réaliser des oeuvres plus personnelles, et plus risquées, par rapport à l'écho qu'elles peuvent trouver auprès des spectateurs. Mais serait-ce parce qu'un film rencontre un succès auprès du public, qu'il perdrait pour autant ses qualités artistiques ? De nombreux films montrent heureusement qu'il n'en est rien.
Les moyens sont réunis aujourd'hui en France pour qu'un cinéma innovant et indépendant des modes et des pressions commerciales du moment puisse rencontrer un public. Je rappellerai rapidement les éléments les plus importants : un réseau de salles qui est le premier d'Europe et un réseau art et essai qui est le premier du monde ; un tissu d'entreprises indépendantes très actives et soutenu notamment par les aides sélectives, en permanence réajustées et renforcées pour accroître leur impact et leur efficacité ; un soutien renouvelé au court métrage, essentiel à la création et aux nouveaux talents ; et sans oublier bien sûr un système de soutien à l'emploi des artistes et des techniciens, par un régime spécifique d'assurance chômage maintenu au sein de la solidarité interprofessionnelle et par une convention collective en cours de renégociation.
La vitalité et la diversité du cinéma français sont une réalité. D'une part, les chiffres de la production cinématographique 2006 font apparaître un nombre de films produits identique à celui de 2004 (203 films), après une année 2005 atypique (240 films).
Ces données indiquent ainsi une stabilisation à un niveau élevé du nombre de films produits, autour de 200, avec des investissements toujours importants, supérieurs au milliard d'euros. D'autre part, le public aime le cinéma français, qui représente 45 % de part de marché, soit plus de 84 millions d'entrées pour les films français en 2006 : c'est un record depuis 1984.
Cette réalité est le résultat du soutien constant des pouvoirs publics et ne pourrait exister sans la participation des télévisions. Certes, les rapports du cinéma et de la télévision n'ont jamais été simples. Mais le financement du cinéma en France a besoin de la télévision. Est-il nécessaire de rappeler que c'est grâce au mécanisme de financement du cinéma par les chaînes de télévision que le cinéma français, à la différence du cinéma italien, n'est pas mort ? Et que propose-t-on à la place ? Beaucoup de premiers films existent parce qu'une chaîne de télévision accepte de prendre le risque d'investir dans une première oeuvre. La très grande majorité des auteurs plaident d'ailleurs plutôt pour un accroissement des obligations d'investissement des chaînes de télévision dans le cinéma. Pour aller dans ce sens, j'ai souhaité que l'obligation passe de 3,2 % à 3,5 % dans le contrat d'objectifs et de moyens d'Arte qui vient d'être adopté.
Je tiens enfin à rappeler le succès d'un ensemble de mesures qui bénéficient au cinéma français et mises en place par ce gouvernement. C'est tout d'abord la création d'un crédit d'impôt cinéma, qui bénéficie à 115 films en 2006. C'est ensuite le développement des aides en régions, avec la création du dispositif «1 euro de l'Etat pour 2 euros de la collectivité». Ce sont aussi les Soficas (mécanisme fiscal pour les particuliers qui permet de financer des films, dont l'attractivité a été maintenue malgré la suppression des niches fiscales) qui ont permis en 2006, d'attirer 66 millions d'euros au total, un chiffre sans précédent. C'est enfin la modernisation de la taxe alimentant le compte de soutien à l'industrie des programmes, qui y fait désormais participer tous les distributeurs, y compris les fournisseurs d'accès à l'Internet. Adoptée le 22 février 2007 dans le cadre de la loi relative à la modernisation audiovisuelle et à la télévision du futur, cette réforme majeure pour l'avenir du cinéma français et de son financement garantira le dynamisme nécessaire aux recettes du compte de soutien.
Les mots «culture» et «diversité culturelle» sont au coeur de mon action quotidienne. Et ils sont au coeur du projet présidentiel et de la volonté politique de cette majorité. Le système français d'aide au cinéma, désormais reconnu et validé par la commission européenne, est un acquis dont chacun doit prendre l'engagement de ne pas le remettre en cause. L'améliorer encore, c'est mon ambition.