Le premier s'apprête à publier un roman où le second raconte sa vie intime avec son ancienne maîtresse, laquelle fait appel à la justice pour que le texte soit édulcoré. Toute ressemblance avec quelques querelles médiatico-parisiennes, en particulier l'une dont Bonitzer fut protagoniste à son corps défendant, n'est pas fortuite. Je pense à vous pose le problème de l'utilisation de la vie privée d'autrui dans des oeuvres artistiques.
Mais on s'égarerait à considérer cet inventaire drolatique de dérapages comme un film à clés. Il s'agit d'abord de ce dont Bonitzer est devenu un fin spécialiste : le portrait d'un homme pris dans un imbroglio sentimental, que sa maladresse et sa lâcheté, son goût pour les idylles compliquées, le jusqu'au-boutisme ou la perversité de ses partenaires entraînent dans un maelström de quiproquos, de malentendus qui le laissent éberlué, humilié, dépossédé. Rien de plus communicative, chez lui, que la jubilation, attisée par un humour cruel, des dialogues aux audaces acérées, avec laquelle il plonge ses personnages dans des situations où ils perdent la face.
Ces spirales de paranoïa sont toujours alimentées par l'obsession d'un rival, à la fois intellectuel et sexuel. Cas de figure hypertendu ici : désigné pour prendre des claques (méritées ou pas), l'éditeur aux abois vit avec la femme dont le romancier a fait ses choux gras, et sa précédente compagne vient faire quelques provocations destructrices.
On en arrive à un vaudeville-catastrophe où l'éditeur subit les apparitions en trompe-l'oeil de son ex dans l'appartement conjugal, et voit son couple menacé par la jalousie - injustifiée - de sa femme (Géraldine Pailhas), laquelle le trompe avec un médecin qui n'est autre que l'actuel époux de la visiteuse à psychose. Imbroglio orchestré par le romancier qui n'est pas un modèle d'élégance, et aggravé par de malencontreux échanges de manteaux et de téléphones portables.
La nouveauté, dans cette variation sur la déréliction ridicule, c'est la délectation avec laquelle il incruste le malaise dans les salles de bains, et joue avec les codes fantastiques. Je pense à vous est hanté par deux brunes maléfiques, dont l'une (Marina de Van), celle qui, à la fois, s'offre et terrifie, apparaît dans un cimetière, fantôme revenu des enfers, pour reconquérir celui qu'elle aimait, un vampire prodigue en entrées inattendues, experte en nudités malvenues, indésirable au corps déglingué.
Dans l'antichambre du film d'horreur et en filiation avec un Eric Rohmer à l'affût des hommes soumis à la tentation, Pascal Bonitzer divertit sur le landerneau des lettres et la difficulté de vivre à deux, l'hésitation à passer à l'acte et l'impossibilité de se séparer, les femmes et les objets qui passent de main en main, le danger de badiner avec l'amour. Candides masochistes, ses héros succombent au vertige des mots (gag à répétition sur la phobie de l'antisémitisme), à la hantise perpétuelle d'être pris en flagrant délit de désir ou d'imposture.
Film français de Pascal Bonitzer avec Edouard Baer, Géraldine Pailhas, Charles Berling, Hippolyte Girardot, Marina de Van. (1 h 22.)
Jean-Luc Douin
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