12.01.2006

Huit distributeurs face à la concentration

Les distributeurs cinématographiques indépendants (qui défendent les films de Pedro Almodovar, Kenneth Branagh, Youssef Chahine, Arnaud Desplechin ou Jim Jarmusch) ont le blues. "Jusqu'à quand allons-nous pouvoir exercer notre métier, défendre la diversité et faire découvrir de jeunes auteurs ?", demande Fabienne Vonier, présidente de Pyramide. Ces intermédiaires entre les producteurs et les exploitants interviennent dans le financement des films, celui de leur sortie (promotion, tirage de copies) ainsi que dans la programmation dans les salles de cinéma.
Huit distributeurs indépendants de taille moyenne (Bac Films, Diaphana, Haut et Court, ID Distribution, Les Films du Losange, Pyramide, Rezo Films et Wild Bunch Distribution) se sont réunis au sein d'un syndicat professionnel, DIRE (Distributeurs indépendants réunis européens). Ils représentent 22 films sélectionnés au dernier Festival de Cannes ou, en termes économiques, 37 millions d'euros investis dans le cinéma français et européen en 2006.

Ils sont confrontés à un emballement du marché. Entre 1996 et 2005, le nombre de films a augmenté de 38 %, celui des copies de 105 %, provoquant mécaniquement un raccourcissement de la durée de vie des films les plus fragiles en salles. Chaque semaine, quinze films sortent sur les écrans, pour n'y rester qu'une à deux semaines, un temps insuffisant pour que le bouche-à-oreille fonctionne. "La durée de vie des films est trop courte, déplore Régine Vial, responsable de la distribution des Films du Losange. Un film qui faisait 300 000 entrées il y a plusieurs années en fait la moitié aujourd'hui. Or nous refusons que les films que nous défendons soient ghettoïsés."

Phénomène européen, la concentration de la distribution des films fragilise sérieusement les indépendants confrontés aux majors : en France, Gaumont Columbia, 20th Century Fox, Warner, Buena Vista, UIP... qui représentent 50 % de part de marché.

Par ailleurs, de nouvelles formes de concentration ont émergé. La plus préoccupante, pour DIRE, étant la création de filiales de distribution par des télévisions privées (TF1, M6 ou Canal+). "Nous n'avons plus accès aux droits des films étrangers en France. Ce sont les filiales des chaînes télévisées qui achètent les Woody Allen, Kim Ki-duk et James Ivory", affirme Mme Vonier.

AIDES "NI LOGIQUES NI JUSTES"

Cette concentration a pour corollaire une inflation du montant des frais de sortie des films. Et les dépenses publicitaires du cinéma sont passées de 129 millions d'euros en 1998 à 291 millions en 2004. Les seuls investissements publicitaires en salles ont été multipliés par 13, pour atteindre 34,05 millions d'euros. Les indépendants ne peuvent pas rivaliser avec la force de frappe publicitaire des groupes intégrés.

Or, face à ces bouleversements, "le système d'aides n'a pas bougé, affirme Jean-Michel Rey, gérant de Rezo Films. Il n'est ni logique ni juste que les sociétés de distribution intégrées à des télévisions perçoivent les mêmes aides automatiques à la distribution que les sociétés indépendantes". Mme Vonier ajoute qu'il n'est pas logique non plus qu'"un multiplexe ne soit pas incité à diffuser des films européens et qu'il reçoive des aides pour programmer exclusivement des hyperproductions hollywoodiennes et deux ou trois comédies françaises".

Le syndicat demande donc aux pouvoirs publics "une refonte complète du système d'aides actuel" pour que "le compte de soutien ne devienne pas un instrument de renforcement du marché, mais un outil pour en corriger les imperfections".

DIRE revendique encore une définition de la notion de distributeur indépendant excluant les filiales des chaînes télévisées et les groupes cinématographiques et de télécommunication.


Nicole Vulser
Article paru dans l'édition du 29.11.06. Le Monde

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