No 620, fevrier 2007
artout, mais en France plus qu’ailleurs, les films naissent et vivent, c’est-à-dire sont produits et montrés, grâce à l’intervention d’organes divers - commissions du CNC et des régions, filiales et comités ad hoc des chaînes de télévision, instances variées ayant pour mission d’accompagner les films à un moment de leur existence. De ce système horriblement compliqué, infiniment critiquable, nécessairement sujet à adaptations et améliorations, on pourrait dire ce qu’on dit de la démocratie : qu’il est le pire système, à l’exception de tous les autres.Ces divers organes ont droit de vie ou de mort sur les films économiquement les plus fragiles.Or il se trouve qu’on y entend désormais une nouvelle expression : certains films réclamant leur soutien seraient des « films de festival ». Infâmant label ! Cette expression, « films de festival » est fausse, elle est injuste, elle est dégueulasse. Elle tend à marginaliser, et finalement à détruire les films - et aussi les festivals. Elle est insultante pour ceux qui font ces festivals et qui y assistent,comme pour ceux qui font ces films ou qui tentent d’aider à leur circulation. Ces genslà, voyez vous, ne seraient pas « des vrais gens », des êtres humains comme les autres, mais une espèce de caste un peu malade, qui pervertirait le « vrai cinéma » (en français facile : les films du marché). C’est l’idéologie rance de la France d’en bas, naturel allié de l’ultralibéralisme, celle qui veut aujourd’hui éradiquer de la vie du cinéma par exemple Pedro Costa, toujours interdit d’accès aux grands écrans, et qui aurait, dans la même logique, assassiné naguère sans état d’âme les oeuvres de Jean Vigo ou Luis Buñuel. Bizarre contradiction : ce sont pourtant ces films-là qui légitiment l’existence des commissions sélectives et autres
mécanismes de soutien à la diversité. Si, en déclarant « films de festival » les oeuvres les plus audacieuses, ces commissions les récusent désormais, la logique et le bien public exigent de supprimer ces fameux organes, de foutre au chômage la moitié du CNC (celle qui s’occupe d’autre chose que du seul bon fonctionnement de la machine économique), et de laisser la si satisfaite d’elle-même industrie du cinéma français se débrouiller seule avec ses concurrents étrangers. C’est quoi, dégueulasse ? C’est cette exclusion des courages, aggravée par ceux qui ont pourtant pour vocation d’en être les renforts.Tiens ! Voici que sortent en même temps,ce mois-ci, deux films « difficiles », « dérangeants », qui mériteraient bien eux aussi l’appellation débile et mortifère de « films de festival ». Ce qu’on appelle, ailleurs - aux Cahiers du cinéma par exemple - des oeuvres d’art. Parce que leurs auteurs sont américains, parce que d’autres de leurs films ont rapporté de l’argent, deux des plus grands artistes du passage du XXe au XXIe siècle, Clint Eastwood et David Lynch peuvent, eux, se passer des systèmes d’aide - mais rien n’assure qu’ils puissent persévérer en un si sombre dessein esthétique si le marché n’est pas favorable. Pour les Cahiers, c’est en revanche une manière de fête qu’INLAND EMPIRE (auquel fera écho la belle exposition qui se trame à la Fondation Cartier) et Lettres d’Iwo Jima sortent presque en même temps.Afin de saluer cette abondance, pour la première fois de son histoire, la revue paraît avec deux couvertures, l’une dédiée à Lynch, l’autre à Eastwood, et deux « événements ». Chaque jour ce qu’on fait au cinéma nous afflige ; souvent, et ce mois-ci tout particulièrement, ce que fait le cinéma nous ravit.
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