BRIGITTE BAUDIN.
Publié le 14 février 2007
César du meilleur second rôle en 2004 pour "Un long dimanche de fiançailles" de Jean-Pierre Jeunet, son talent d'actrice de composition éclate aujourd'hui dans une extraordinaire interprétation d'Édith Piaf.
César du meilleur second rôle en 2004 pour « Un long dimanche de fiançailles» de Jean-Pierre Jeunet, son talent d'actrice de composition éclate aujourd'hui dans une extraordinaire interprétation d'Édith Piaf.« PIAF est une étoile qui se dévore dans la solitude du ciel. » C'est ainsi que Jean Cocteau, en poète, définissait son amie Édith Piaf, cette chanteuse populaire de légende qui galvanisait la foule de sa voix sensuelle, profonde, déchirante comme un cri, comme une plainte intérieure. Rien donc de plus difficile que d'interpréter celle qui a chanté l'amour avec des sanglots et la passion du désespoir tout en brûlant la vie par les deux bouts.
Dans La Môme d'Olivier Dahan, le récit mélodramatique des épisodes les plus marquants de l'existence de Piaf, un véritable roman populiste à la Hector Malot, Marion Cotillard joue le rôle-titre. A priori, l'actrice ne ressemble pas physiquement au personnage, ce petit bout de femme d'un mètre quarante-sept à l'apparence chétive, disparue prématurément à 47 ans, usée par l'alcool, la drogue et les amours intenses à répétition. Elle est grande, longiligne, le visage lisse, le regard clair, l'air sain et bien dans sa peau. Mais, à force de travail et après quatre heures trente de maquillage, l'illusion est parfaite. Marion Cotillard, c'est Édith Piaf réincarnée.
Tout commence donc à Belleville. C'est là que naît, le 18 décembre 1915, à 5 heures du matin, sur un trottoir, en pleine rue, la petite Édith Giovanna Gassion. Son père, Louis Alphonse Gassion (Jean-Paul Rouve), est contorsionniste-antipodiste. Sa mère, Anetta Maillard (Clotilde Courau), une ancienne vendeuse de nougat, chante dans les caf'conc' pour améliorer l'ordinaire. Louis Alphonse Gassion reparti pour le front, Anita, qui n'a pas la fibre maternelle, confie son bébé à sa mère d'origine kabyle, ancienne artiste de cirque en Algérie avec un numéro de puces savantes. Couverte de croûtes et d'eczéma, Édith, squelettique, vit deux ans dans ce taudis au milieu des excréments, dans un manque total d'hygiène. Son père la conduit alors chez sa mère (Catherine Allégret), qui tient une maison de tolérance à Bernay, en Normandie. Choyée par les prostituées - par Titine (Emmanuelle Seigner) tout particulièrement - qui l'entourent d'affection, Édith s'épanouit.
Un état de fragilité
Mais, le malheur continue à la poursuivre. À 6 ans, une double kératite est en train de la rendre aveugle. Titine l'emmène à Lisieux en pèlerinage, à la basilique Sainte-Thérèse. Le miracle opère. Édith recouvre la vue. Elle gardera jusqu'à sa mort une dévotion à sainte Thérèse. Quelque temps après, son père la ramène à Paris. Elle fait la manche dans les rues où son père se produit. Elle chante aussi La Marseillaise et L'Internationale pour récolter davantage d'argent. Elle découvre alors l'impact de sa voix sur les passants qui s'arrêtent pour l'écouter. À 15 ans, avec Momone (Sylvie Testud), sa compagne de misère, elle arpente les rues de la capitale pour pousser la chansonnette. C'est ainsi qu'au coin de la rue Troyon, Louis Leplée (Gérard Depardieu), le patron d'un cabaret chic (il sera assassiné le 6 avril 1936), la remarque, l'engage et lui trouve son nom de scène : la môme Piaf. Sa carrière commence, jalonnée de rencontres - la compositrice Marguerite Monnot, Raymond Asso, son mentor (Marc Barbé), Louis Barrier (Pascal Greggory) - de succès en France et outre-Atlantique, et d'histoires d'amour passionnées, comme avec Marcel Cerdan (Jean-Pierre Martins) et Théo Sarapo, son dernier mari, qui l'aimera jusqu'à sa mort, le 10 octobre 1963.
« J'ai découvert la chanson réaliste lorsque j'avais 18-20 ans, explique Marion Cotillard. J'écoutais Fréhel, Yvette Guilbert, Aristide Bruant. Et bien sûr Édith Piaf. Je connaissais par coeur L'Hymne à l'amour, La Foule et Les Amants d'un jour. On y parlait sentiments purs, radicaux, absolus. Cela me bouleversait, me donnait la chair de poule. Cela m'aidait aussi beaucoup dans mon travail de comédienne en me mettant dans un état de fragilité émotionnelle, d'écoute pour approcher un personnage. Je n'imaginais alors pas qu'un jour, j'aurais le privilège d'incarner cette artiste et cette femme si forte et vulnérable, découvreuse de talents, et une amoureuse au destin tragique fait de drames et de grands bonheurs. »
Afin de coller parfaitement à son personnage, Marion Cotillard s'est beaucoup documentée. Elle a lu de nombreuses biographies consacrées à Édith Piaf. Elle a visionné ses spectacles pour enregistrer ses gestes, sa démarche, sa manière de se tenir en scène. Elle a analysé de nombreuses interviews pour tenter de percer le mystère, de mieux percevoir le tempérament de Piaf. Elle a rencontré Georges Moustaki et Ginou Richer, des amis intimes d'Édith Piaf, qui lui ont révélé les aspects cachés de sa personnalité.
« À la lecture du scénario, je ne comprenais pas le côté tyrannique de Piaf, avoue Marion Cotillard. C'est en regardant un de ses reportages que la lumière s'est faite. Elle disait qu'elle n'avait pas peur de la mort, mais que la solitude l'effrayait. Cela expliquait donc ce besoin constant d'être entourée et de régenter ainsi son petit monde. »
La difficulté majeure rencontrée par Marion Cotillard, la trentaine radieuse, fut de camper Piaf de son adolescence à sa déchéance et de passer de la gamine de 14 ans qui brûlait d'un feu intérieur quand elle chantait dans les rues ou sur scène à la pauvre silhouette fantomatique décharnée par la maladie, au seuil de la mort, à 47 ans.
« J'arrivais à 5 heures du matin sur le tournage car il fallait parfois cinq heures de maquillage, précise-t-elle. Je me transformais sous les doigts du maquilleur Didier Lavergne. Il devait reconstituer la texture de la peau, des veines, des rides. Un travail d'artiste ! Je portais aussi une prothèse dentaire pour avoir des dents plus en avant et le phrasé particulier d'Édith Piaf. C'était épuisant. Mais, l'aventure en valait bien la peine ! »
La Môme Mélodrame d'Olivier Dahan. Avec Marion Cotillard, Sylvie Testud, Pascal Greggory, Emmanuelle Seigner, Jean-Paul Rouve, Gérard Depardieu, Jean-Pierre Martins, Catherine Allégret, Marc Barbe. Durée : 2 h 20.
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